« Rien n’aura eu lieu que le lieu. »
Stéphane Mallarmé, Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, 1897
Toutes les photographies de cette série ont été réalisées au lieu-dit La Salle, à Manziat dans l'Ain en octobre 2005.
« La Salle » : lieu dit, lieu tut. Lieu de l’action, on photographie pourtant son retrait. C’est là, c’était là : à Manziat, dans le Val de Saône, dans la Bresse. La ferme est maintenant vendue au pharmacien du village Monsieur Benoît Robert-Duvillier. Un grand-père y vivait en dernier des Mohicans, en dernier des paysans. On erre dans la maison vide, on entend le vieux marcher. Il avançait courbé, le moindre effort relevé d’un long « pfffff... »... comme une basse continue. On revoit la table avec ses grosses mains posées dessus, la toile cirée orangée et rayée, plus usée à la place parfaitement située dans l’axe du poste de télévision couleur (Brandt ou Thomson) qui hurlait et que l’on entendait du bout de la cour. On revoit le bol, l’assiette, les pilules, le verre, les couverts, l’Opinel n°2, la tasse à fleurs, la télécommande dite universelle dans sa gangue de plastique noire, de plastique mou, on revoit cette constellation d’objets qui tous les jours se construisait, identique, dans un va et vient incessant de l’arrière cuisine à cette desserte, de cette desserte à l’arrière cuisine. Et puis là le buffet en formica et la cuisinière à bois, le calendrier Champagnat, le relax, le kalankoé, le Pèlerin qui trainait, Rustica et la Voix de l’Ain. On se rappelle du chien qui tournait sans cesse autour de son pieu qui lui servait du centre de la terre, de centre de l’univers. On revoit la niche. On le revoit, lui, dévalant les pentes comme un fou, à une vitesse pas possible, le dimanche seulement et le vieux qui le suivait à pas lents avec des bottes énormes, son béret et son paletot, mâchant son mégot.Cette batisse, un parthénon (?), cette maison que vous regardez-là est une maison de verre : transparente et brisée, comme tombée par terre... et dont chacune des images devant vous est un éclat (mat), dont chaque pan est un bris. Perspective redressée, tout est ramené au plan, le champ aplanie comme « Les pommes » ailleurs, « Les chevaux bleus » plus loin encore. C’est comme jeter un verre au sol, un «instantané» dit l’autre, un instant tané. Tout est arrêté.On pense à Depardon, au Garet. On pense à Proust revenant à Guermantes. On pense à Faulkner, à Steinbeck, les raisins mais sans la colère. Liste oulipienne, un « je me souviens » où chaque spectateur retrouve une part enfouie de lui-même. Une demeure qui pourrait bien être celle que renferme notre mémoire et sur laquelle s’ouvre notre mental lorsque le mot « maison » est prononcé.
A. L. B.
Le Ciel gris s'élevant (paraissait plus grand) publié aux Éditions Filigranes, 2007
Le Ciel gris s'élevant (paraissait plus grand) publié aux Éditions Filigranes, 2007
Le Ciel gris s'élevant (paraissait plus grand) publié aux Éditions Filigranes, 2007
exposition Lieux-dits, Maison d'Art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne, juin-juillet 2007
Le Ciel gris s'élevant (paraissait plus grand) publié aux Éditions Filigranes, 2007
exposition Lieux-dits, Maison d'Art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne, juin-juillet 2007
exposition Lieux-dits, Maison d'Art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne, juin-juillet 2007
Le Ciel gris s'élevant (paraissait plus grand) publié aux Éditions Filigranes, 2007
exposition Lieux-dits, Maison d'Art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne, juin-juillet 2007
Le Ciel gris s'élevant (paraissait plus grand) publié aux Éditions Filigranes, 2007
Le Ciel gris s'élevant (paraissait plus grand) publié aux Éditions Filigranes, 2007
Le Ciel gris s'élevant (paraissait plus grand) publié aux Éditions Filigranes, 2007
exposition Lieux-dits, Maison d'Art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne, juin-juillet 2007